ELIPHAS LEVI
Un parcours semé d'embuches:
Alphonse-Louis Constant naquit le 8 février 1810 à Paris.Il entre en 1825 au petit séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet, dirigé alors par l'abbé Frère-Colonna, qui l'oriente peut-être déjà vers l'étude de la magie.En 1830, ayant terminé sa rhétorique, il passe au séminaire d'Issy pour finir ses deux années de philosophie. Après Issy, il aboutit au séminaire de Saint-Sulpice pour faire sa théologie.
Songeant à accéder à la prêtrise, il part pour l’abbaye de Solesmes, bien résolu à y passer le reste de ses jours. L'abbaye possédait une bibliothèque d'environ 20 000 volumes, dans laquelle il puisa abondamment. Il étudie la doctrine des anciens gnostiques, celle des Pères de l'Église primitive, les livres de Cassien et d'autres ascètes, les pieux écrits des mystiques, et spécialement les livres de Mme Guyon.
Durant son séjour, il fait paraître son premier ouvrage : le Rosier de Mai (1839). À cause d'une mésentente avec l'abbé de Solesmes, A. Constant quitte finalement l'abbaye au bout d'un an, sans le sou.
En intercédant auprès de l'archevêque de Paris, Mgr Affre, il finit par obtenir un poste minable de surveillant au collège de Juilly. Ses supérieurs le maltraitent, et dans son écœurement il compose, au grand scandale du clergé et des bien-pensants, la Bible de la liberté (1841). L'ouvrage parut le 13 février et fut saisi à Versailles une heure après sa mise en vente. Un grand nombre d'exemplaires purent tout de même être sauvés, et l'abbé Constant fut arrêté dans les premiers jours du mois d'avril. Le procès eut lieu le 11 mai 1841, l'abbé fut condamné à 8 mois de prison et 300 francs d'amende. À la prison de Sainte-Pélagie, où il passe 11 mois (n'ayant vraisemblablement pas de quoi régler l'amende...).
A sa sortie en avril 1842, il obtient une commande de peintures murales pour l'église de Choisy-le-Roi grâce à l'aumonier de Sainte-Pélagie. En 1843, habitant le presbytère de Choisy, il commence l'écriture de la Mère de Dieu. Sa conduite est si exemplaire, que Mgr Affre décide de le recommander à Mgr Olivier, évêque d'Evreux. L'évêque est prêt à accueillir l'abbé à condition qu'il change son nom pour celui de sa mère, afin d'éviter tout scandale en rapport avec l'affaire de la Bible de la liberté.
C'est donc l'abbé Beaucourt qui part pour Evreux en février 1843. Ses prédications y rencontrent un grand succès et suscitent beaucoup de jalousies parmi les prêtres du diocèse. Au mois de juin le journal l'Univers annonce la mort de l'Abbé Constant, information démentie ensuite par le Populaire, puis le 22 juillet 1843 paraît dans l'Écho de la Normandie un article intitulé le Nouveau Lazare dans lequel est dévoilée toute l'histoire de l'Abbé Beaucourt : son identité, son procès et sa condamnation. Obligé de sortir du séminaire, il n'est pas oublié par l'évêque d'Evreux qui pourvoit à sa subsistance et cherche encore à l'aider par la commande d'une peinture murale pour un couvent. Malheureusement, Mgr Olivier est très affligé par la sortie de la Mère de Dieu (1844), et fin février 1844, l'abbé retourne à Paris en laissant sa peinture inachevée.
En 1845, dans le Livre des larmes, il développe pour la première fois des notions ésotérisantes.
Eugénie Chenevier accepta d'être sa femme devant Dieu. Confiante en l'avenir, elle s'était déjà donnée à lui et attendait un enfant. Ce fils, Xavier Henri Alphonse Chenevier, qui naquit le 29 septembre 1846, vécut jusqu'en 1916, et eut lui-même un fils, Pierre (par la ligne d’Eugénie, la descendance d’Eliphas Lévi représente aujourd’hui plus de 40 personnes, à la sixième génération).
Mais Marie-Noémi Cadiot tomba amoureuse... Après avoir entretenu une correspondance enflammée avec A. Constant, elle s'échappe un beau jour de chez ses parents pour aller se réfugier dans la mansarde de celui-ci. Son père exige alors le mariage, sous la menace d'une accusation de détournement de mineure, car la jeune fille n'avait alors que 18 ans. A. Constant dut se résigner le 13 juillet 1846. Mme Constant accouche en septembre 1847 d'une fille, Marie. La petite Marie mourra en 1854 à l'âge de 7 ans, au grand désespoir de A. Constant qui l'adorait.
Sur la voie de l'ésotérisme:
Fin 1850, il rencontre l’abbé Migne, fondateur et directeur de la librairie ecclésiastique de Montrouge, qui lui commande pour sa collection un Dictionnaire de la littérature chrétienne. Paru en 1851, l'ouvrage étonne par la science profonde qu'il renferme. Vers cette époque A. Constant rencontre le savant polonais Hoëné-Wronski, dont l’œuvre fait sur lui une impression durable et l’oriente vers la pensée mathématique et le messianisme napoléonien. Commence alors la rédaction du Dogme et rituel de la haute magie. Il prend le pseudonyme d'Eliphas Lévi, ou Eliphas Lévi Zahed (traduction en hébreu de Alphonse-Louis Constant).
« La foi n'est qu'une superstition et une folie si elle n'a la raison pour base, et l'on ne peut supposer ce qu'on ignore que par analogie avec ce qu'on sait. Définir ce qu'on ne sait pas, c'est une ignorance présomptueuse; affirmer positivement ce qu'on ignore, c'est mentir. » (Dogme et rituel de la haute magie, p. 360)
Au printemps 1854, il se rend à Londres, y rencontre le Dr. Ashburner et Sir Edward Bulwer-Lytton, célèbre auteur de romans fantastiques (Zanoni, le Maître Rose-Croix est son ouvrage le plus connu), qui devient son ami et le fait admettre au sein des cercles rosicruciens. Encouragé par une amie de celui-ci initiée de haut grade, il tente une série d'évocations. Au cours de l'une d'elles, le fantôme d’Apollonius de Tyane lui apparaît en lui indiquant l'endroit de Londres où il pourrait trouver son Nyctemeron (cf. le récit du séjour dans Dogme et rituel de la haute magie, pages 132 à 135). Pourtant Eliphas Lévi demeurera toujours opposé aux expériences de magie. Quand plus tard il eut quelques disciples, il leur fit promettre de ne jamais tenter la plus petite expérience et de ne s'occuper que de la partie spéculative de la philosophie occulte.
Mle Eugénie Chenevier était à Londres depuis quelques années, où elle gagnait péniblement de quoi élever son enfant. A. Constant lui écrivit pour lui demander son pardon et il l'obtint. Pendant ce temps à Paris, son ami Adolphe Desbarolles prend avec l'ex-Mme Constant les arrangements nécessaires et fait déménager les affaires personnelles du Maître.
Revenu en France en août 1854, Eliphas achève Dogme et rituel de la haute magie, qui paraît de 1854 à 1856. Alors commence le succès, mais non la fortune.
En 1855, il fonde avec Fauvety et Lemonnier la Revue philosophique et religieuse qui paraîtra pendant trois ans et dans laquelle il écrit de nombreux articles sur la Kabbale.
Le 3 janvier 1857, un événement sanglant plonge Paris dans la stupeur. L'archevêque de Paris, Monseigneur Sibour, est assassiné par un prêtre interdit, Louis Verger, alors qu'il inaugurait la neuvaine de Sainte-Geneviève à Saint-Étienne-du-Mont. Les deux nuits précédentes, Eliphas avait fait un rêve prémonitoire qui se terminait pas les paroles : « viens voir ton père qui va mourir ! ». Son père étant mort depuis longtemps, il n'en comprit pas immédiatement le sens. Le 3 janvier vers quatre heures de l'après-midi, Eliphas se trouvait parmi les pèlerins qui assistaient à l'office au cours duquel l'archevêque devait succomber. Mais ce n'est qu'en lisant plus tard la description de l'assassin dans les journaux, qu'il se souvint d'un prêtre pâle rencontré avec Desbarolles un an auparavant chez Mme A. et qui cherchait le grimoire d'Honorius. Cet épisode est relaté en détail dans la Clef des grands mystères (1861), pages 139 à 151.
En 1859, la publication de l'Histoire de la magie lui rapporte 1 000 francs, ce qui est une somme pour l'époque, et le consacre en attirant à lui la plupart des ésotérisants français (notamment Henri Delaage, Luc Desages, Paul Auguez, Jean-Marie Ragon, Henri Favre, et le Dr. Fernand Rozier, que l'on retrouvera plus tard aux côtés de Papus). Il connut aussi le cartomancien Edmond et le magnétiseur Cahagnet.
Sollicité par ses amis Fauvety et Caubet, il se fait recevoir maçon. Initié le 14 mars 1861 dans la loge Rose du parfait silence, dont Caubet était le Vénérable, il déclare dans son discours de réception :
« Je viens apporter au milieu de vous les traditions perdues, la connaissance exacte de vos signes et de vos emblèmes, et par suite, vous montrer le but pour lequel votre association a été constituée... » (CAUBET, Souvenirs, Paris, 1893)
La cérémonie eut lieu en présence d'un grand nombre de Frères à qui il tenta d'expliquer que le symbolisme maçonnique est emprunté à la kabbale. Mais ce fut peine perdue, on ne le crut pas.
Entre temps, Mle Eugénie Chenevier et son fils étant revenus à Paris, Eliphas fait savoir qu'il désire s'occuper de l'enfant. La mère cède à ce désir, mais une brouille survient en 1867 pour des questions d'argent et il ne reverra plus ni la mère, ni le fils jusqu'à sa mort. En 1861, il publie la Clef des grands mystères, dernier volet de la trilogie commencée avec Histoire de la magie et Dogme et rituel de la haute magie.
Le Maître travaille beaucoup, initiant aux sciences occultes des érudits appartenant à la plus haute aristocratie, et même l'évêque d'Evreux, Mgr Devoucoux, à qui il donne de leçons de Kabbale. Grâce à l'argent perçu en rémunération de ses leçons, il vit dans un relatif confort matériel, enrichissant sans cesse sa bibliothèque. Avec le comte Alexandre Branicki, hermétiste, il réussit quelques expériences probantes du Grand Œuvre dans un laboratoire installé au château de Beauregard, à Villeneuve-Saint-Georges.
En mai 1861, il retourne à Londres, accompagné du comte Alexandre Branicki, passer quelques mois auprès de Bulwer-Lytton, arrivé cette année-là à la tête de la Rosicrucian Society of England. Au cours de ce deuxième séjour, Eliphas Lévi rend plusieurs fois visite à Eugène Vintras, qui lui avait envoyé deux de ses disciples pour l'inviter des années auparavant. Il le considère non pas comme un prophète, mais comme un médium singulier, un intéressant sujet d'études, et lui achète même son livre l'Évangile éternel.
En juillet 1861, le baron italien N-J Spedalieri avait acheté chez un libraire de Marseille le Dogme et rituel de la haute magie et décidait de prendre contact avec l'auteur. S'ensuivit une correspondance de plus de 1 000 lettres qui dura du 24 octobre 1861 au 14 février 1874. C'est un cours de Qabbale unique, précis, rempli de figures explicatives et d'anecdotes. Spedalieri fut l'un des plus importants mécènes du professeur de sciences occultes.
Rentré à Paris, Eliphas Lévi publie le Sorcier de Meudon, dédié à Mme de Balzac. Depuis son retour de Londres, il assiste régulièrement aux réunions maçonniques de la loge Rose du parfait silence. Le 21 août 1861, on lui confère le grade de Maître. À la suite d'un long discours sur les Mystères de l'initiation qu'il prononça le mois suivant, un Frère, le professeur Ganeval, ayant voulu présenter quelques observations sur ce qui venait d'être dit, se heurta aux protestations d'Eliphas, qui se retira et ne reparut plus en loge. Les tentatives de Caubet pour le faire revenir sur sa décision le lendemain furent infructueuses. La loge Rose du parfait silence sera mise en sommeil en 1885.
Le 29 août 1862 paraît Fables et symboles, ouvrage dans lequel Eliphas Lévi analyse les symboles de Pythagore, des Évangiles apocryphes, du Talmud...etc. Quelques fois il fréquente incognito les réunions spirites pour se documenter.
En 1865 paraît la Science des esprits, recueil d'essais traitant à nouveau du symbolisme des Évangiles apocryphes, du Talmud, ...etc.(absolument rien à voir avec le spiritisme). À l'été 1865, l'éditeur Larousse lui demande d'écrire quelques articles de Qabbale pour son Grand Dictionnaire. Il travaille en même temps à un ouvrage superbe, mais d’une valeur historique contestable, le Livre des splendeurs, qui traite surtout de la Qabbale du Zohar et qui ne paraîtra qu’après sa mort. À cette époque il commence à ressentir souvent des douleurs névralgiques à la tête, qui le font beaucoup souffrir.
En décembre 1871, Eliphas Lévi termine un autre manuscrit : le Grimoire franco-latomorum, consacré à l'explication des rites de la Franc-Maçonnerie. À l'automne 1872, son ex-femme, écrivain et sculpteur désormais reconnue, se marie avec le député de Marseille, Maurice Rouvier, qui deviendra ministre du commerce. Sa santé continue de se détériorer. À cause d'une maladie de cœur il est sujet à des évanouissements au cours desquels il dit avoir des visions extatiques. Pendant l'année 1873, il achève le manuscrit de l'Évangile de la science.
L'année 1874 fut très douloureuse à passer : une bronchite assez grave, des étouffements, et une fièvre persistante ne lui laissèrent presque aucun repos. Ses jambes s'enflèrent peu à peu et une sorte d'éléphantiasis se déclara bientôt. En janvier 1875, le Maître achève son dernier manuscrit : le Catéchisme de la paix. Le 31 mai 1875, il s'éteint au nº 155 rue de Sèvres, à l'âge de 65 ans. On l'inhuma au cimetière d'Ivry, une simple croix de bois marquant l'emplacement de sa tombe. En 1881, son corps fut exhumé et ses restes placés dans la fosse commune.